Qu’est-ce que l’intégration des migrants ? – Les stratégies d’acculturation
L’ « intégration » des migrants. Voilà un terme qu’on entend un peu partout. Désignant au départ un phénomène sociologique, il est devenu un lieu commun. Parfois utilisé à tort et à travers dans les médias et les discours politiques. Galvaudé. Vidé de son sens.
L’intégration. C’est l’un des sujets qui revient le plus lorsqu’on parle des migrations. C’est d’ailleurs la mission de l’ONG maltaise dans laquelle je suis intervenue pendant un certain temps. Elle porte sa mission jusque dans son nom : Integra Foundation.
L’opinion publique semble s’accorder pour dire que le « migrant » doit « s’intégrer », qu’elle soit « pro » ou « anti » migration.
Mais, au fond, qu’est-ce que l’intégration ? Est-ce adopter les codes culturels de la société d’adoption ? S’agit-il, pour la personne immigrée, de mettre de côté son identité culturelle, voire de carrément s’en défaire ?
Dans cet article, je vais clarifier le concept d’intégration. Pour cela, je vais vous présenter un autre concept, que j’ai découvert en assistant à des conférences portant sur les migrations à Malte. Ce concept, dont on ne parle quasiment jamais en dehors des universités et des milieux spécialisés, est l’acculturation.
J’ai à cœur de vulgariser pour vous certains concepts méconnus ou obscurs pour le grand public. En effet, je suis convaincue que l’information et la connaissance doivent être mis à la portée de tous.tes. C’est cette connaissance qui constituera un rempart efficace contre l’ignorance, elle-même à l’origine des préjugés, des stéréotypes et de la haine qui en découlent.
Acculturation : définition et concept
Tout d’abord, qu’est-ce que l’acculturation ? Selon le Memorandum de Redfield, Linton et Herskovits (1936)[1], il s’agit de l’« ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l’un ou des autres groupes ». Cette définition vous paraît un peu obscure ? Simplifions-la !
À travers ce concept, on s’intéresse aux relations entretenues entre les personnes (et groupes de personnes) de différentes cultures. La définition précise que ces relations sont directes et continues. Il ne s’agit donc pas d’étudier la relation entretenue entre les gens d’un pays et des étrangers de passage, mais celle entretenue avec des immigré.e.s venu.e.s s’installer dans le pays en question. L’acculturation s’intéresse aux conséquences de ces relations : les personnes ou groupes de personnes conservent-elles leur culture d’origine ? Les immigré.e.s adoptent-iels la culture du pays d’accueil ? La population du pays d’accueil intègre-t-elle des éléments culturels apportés par les immigré.e.s ?
Cette dernière question suppose que chaque groupe culturel (celui des immigré.e.s et celui de la population du pays d’accueil) modifie éventuellement sa culture suite aux relations entretenues avec l’autre. Mais en réalité il existe généralement un groupe dit dominant, qui jouit d’une influence culturelle plus forte que l’autre groupe. Avez-vous deviné duquel il s’agit ? La réponse est : la population du pays d’accueil. En face, les immigré.e.s constituent le groupe dominé.
C’est d’ailleurs ce qui peut rendre critiquables certains travaux sur le sujet : le risque est de faire preuve d’ethnocentrisme. Typiquement, les Occidentaux évaluent l’acculturation des immigré.e.s à travers le prisme de leur propre culture. Les dérives ne sont alors pas loin, puisque ceci peut amener certain.es à juger le degré d’« occidentalisation » ou, pire, de « modernisation » de l’immigré.e.
Je trouve néanmoins le concept d’acculturation intéressant pour comprendre les relations entre les immigré.e.s et la société d’accueil, à condition de ne pas réduire ce concept à celui d’« occidentalisation ».
Revenons à la question du groupe dominant et du groupe dominé. On va se focaliser sur ce dernier. Les immigré.e.s font face à des défis pour s’adapter à leur nouvel environnement culturel. Il s’agit d’une question de société, mais qui revêt en même temps un aspect intime car la culture touche à l’identité de la personne. L’immigré.e est ainsi tiraillé en permanence entre son désir de participer à la société d’accueil et celui de conserver sa culture d’origine.
Toutes ces réflexions ont été synthétisées par John W. Berry, qui a créé le modèle d’acculturation.
Ce modèle a été construit sur deux questions :
- L’immigré.e conserve-t-iel sa culture d’origine ?
- Quel type de relation les différents groupes culturels (immigré.e.s / population du pays d’accueil) entretiennent-ils entre eux ? Et plus précisémment, l’immigré.e a-t-iel des contacts avec les membres de la société d’accueil ? Participe-iel à la vie sociale de cette société ?
La réponse à ces deux questions a donné lieu à quatre stratégies d’acculturation :
- l’intégration
- l’assimilation
- la ségrégation ou la séparation
- la marginalisation
Voyons chacune de ces stratégies un peu plus en détail.
Intégration
L’intégration désigne le fait pour l’immigré.e de participer à la société d’accueil tout en conservant sa culture d’origine. Iel peut alors mélanger les valeurs de sa culture d’origine et celles de la culture de la société d’accueil.
Prenons un exemple : celui de Hassan, réfugié syrien et musulman installé en France. L’intégration peut se traduire par le fait de participer aux fêtes de Noël avec les personnes avec qui il a noué des liens en France, tout en continuant à pratiquer sa religion d’origine et fêter l’Aïd.
Au niveau plus large de la société, l’intégration donne lieu au multiculturalisme, par exemple le modèle multiculturel canadien (selon Serge Guimond). Il existe alors plusieurs groupes ethniques distincts, qui coopèrent tous au sein de la société d’accueil.
Assimilation
Avec l’assimilation, l’immigré.e établit des relations avec la société d’accueil tout en abandonnant sa culture et son identité d’origine. Il adopte la culture de la société d’accueil sans conserver sa culture d’origine.
Reprenons notre exemple. L’assimilation conduit Hassan à adopter tous les codes de la culture française tout en abandonnant sa culture d’origine. Il va se mettre à « copier » et intérioriser tous les codes culturels de la France. Parallèlement, il va cesser de pratiquer sa religion et sa langue maternelle (l’arabe).
Au niveau plus large de la société, l’assimilation mène au melting pot. Les immigré.e.s se fondent dans le moule de la société d’accueil. Les États-Unis ont adopté ce modèle à différents moments de leur histoire.
Il convient de souligner la confusion qui est faite dans certains discours entre l’intégration et l’assimilation. Le terme « intégration » y est employé, alors que les auteurs parlent en réalité d’assimilation. Dans ces discours, les auteurs expriment la nécessité, selon eux, pour les migrants de « s’intégrer », mais ils attendent en réalité de ces derniers qu’ils adoptent une stratégie d’assimilation et abandonnent leur culture et leur identité d’origine.
Ségrégation ou séparation
La ségrégation (ou séparation) constitue l’inverse de l’assimilation : l’immigré conserve sa culture d’origine tout en évitant des interactions avec la société d’accueil.
Dans notre exemple, Hassan va continuer de parler arabe et de pratiquer sa religion (notamment avec d’autres immigré.e.s) tout en réduisant au minimum ses interactions avec la société française.
Ségrégation ou séparation ?
Lorsque l’absence de relations avec la société d’accueil est librement choisie par l’immigré.e, on parle de séparation.
A l’inverse, lorsque cette absence est imposée par la société d’accueil elle-même, on parle de ségrégation.
La stratégie de la ségrégation a donné lieu à des exemples tristement célèbres : la ségrégation Noirs / Blancs aux États-Unis, l’Apartheid en Afrique du Sud, ou encore la politique menée en Israël à l’encontre des Palestinien.nes[2].
Marginalisation
La marginalisation est l’opposé de l’intégration. Dans ce cas, l’immigré.e perd son identité culturelle sans pouvoir établir des relations avec la société d’accueil.
Cette situation n’est pas facile à cerner. Elle s’accompagne de confusion identitaire, au plan individuel et collectif.
La marginalisation résulte souvent d’exclusion et de discrimination à l’encontre de l’immigré.e.
Pour reprendre notre exemple, Hassan a abandonné sa culture et son identité d’origine. Il est victime d’exclusion et de discrimination. Il se retrouve isolé, dans une situation angoissante, où il ne sait plus trop comment définir son identité.
La meilleure stratégie : l’intégration
Maintenant vous connaissez les quatre stratégies de l’acculturation. Quelle est la meilleure ?
Comme vous l’avez lu dans le titre, je pense que l’intégration constitue la meilleure stratégie. Celle-ci constitue un véritable enrichissement, autant pour l’immigré.e que pour la société d’accueil.
L’immigré.e n’abandonne ni ne renie sa culture d’origine (pourquoi devrait-iel le faire d’ailleurs ?). Cette stratégie est respectueuse de son identité, et donc de sa personne. L’immigré.e ne se dépouille pas de sa culture, de son identité. Iel ajoute à sa culture d’origine les éléments de la culture du pays d’accueil et enrichit son identité. Réciproquement, la société d’accueil bénéficie aussi de l’apport culturel apporté par les immigré.e.s.
Construire une société multiculturelle me paraît donc être la clé pour un monde plus harmonieux, voire un monde meilleur. Une société qui respecte l’identité culturelle de chacun tout en permettant de s’enrichir au contact de l’autre. Une société bénéfique autant pour l’immigré.e que pour la société d’accueil.
Ne demandons pas aux individus (immigré.e.s… ou non d’ailleurs) de rentrer dans un moule au détriment de leur identité. Ils ne sont pas des tartes !
Ne confondons pas l’intégration et l’assimilation, comme certains discours ont tendance à le faire.
Ne réduisons pas l’acculturation à l’« occidentalisation ».
N’excluons pas autrui au motif qu’iel est différent.
Créons une société multiculturelle.
Chacun.e de nous peut, à son échelle, participer à sa construction et ainsi faire de ce monde un monde un peu meilleur.
Sources :
- Conférences suivies à Malte (notamment la FACULTY CONFERENCE organisée par the Community Engagement Sub-Committee of the Faculty for Social Wellbeing en collaboration avec JRS le 14/11/2017, intitulée “Beyond Refuge: Integration of Refugees and Asylum Seekers In Maltese Society”)
- Wikipédia
- Universalis
- Mon expérience personnelle
[1] (en) Melville Herskovits, Acculturation : the study of culture contact, New York, J.J. Augustin, 1938, 155 p.
[2] Je ne souhaite pas ici ouvrir le débat sur la situation en Israël. Chacun.e se fera son opinion sur les relations entretenues entre les Israëlien.nes et les Palestinien.nes.
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